L’Algérie, quel futur pour nous, la France ?

L’Algérie c’était un beau pays, comme chante Serge Lama en suivant ce lien. Photo Yann Arthus-Bertrand la Mitidja en 1950.

Mais quel futur se dresse devant ce beau pays?

Voici ce qu’en pense notre ami Bernard Lugan:

” Avec le régime algérien, rien n’est simple et rien ne doit être pris au premier degré. Y compris ses folles exigences de repentance. Ainsi, le 5 juillet 2017, quand, à l’occasion de la fête nationale, sourd, muet et quasi paralysé,  le président Abdelaziz Bouteflika publie un message diffusé par l’agence officielle APS dans lequel « il » écrit : « Notre peuple exige (je souligne) toujours une reconnaissance de ses souffrances de la part du colonisateur d’hier, la France ».

Au-delà de cet exercice de style incantatoire, mécanique et convenu, passons à l’essentiel du message. Ceux qui tiennent la main du président Bouteflika s’y adressent plus aux Français qu’aux Algériens. Un paradoxe le jour de la fête nationale algérienne…. Après avoir insulté la France, voilà qu’ils y affichent une claire intention d’établir avec elle des rapports enfin apaisés à travers « un partenariat d’exception qui se doit d’être mutuellement bénéfique ».

« Mutuellement bénéfique » signifiant donnant-donnant, que demande donc le clan Bouteflika aux abois ? Tout simplement qu’Emmanuel Macron entérine la succession « à la cubaine » qu’il prépare, Saïd Bouteflika prenant alors la place de son frère Abdelaziz. En échange de cet aval français qui ouvrirait la voie à une reconnaissance internationale, les services algériens « aideraient » Paris dans un dossier malien de plus en plus pesant, mais dont ils connaissent intimement certains des principaux acteurs…

Explications :

Depuis son accident vasculaire cérébral survenu le 27 avril 2013, Abdelaziz Bouteflika, n’apparaît plus en public que très rarement, et sur un fauteuil roulant. Ses trois frères, sa sœur -tous quatre conseillers à la présidence-, et leurs affidés, savent qu’ils vont vivre des moments difficiles dans les heures qui suivront son trépas s’ils ne sont pas auparavant parvenus à un accord permettant une succession contrôlée.

Les limogeages opérés en 2015 et 2016 à la tête l’Odjak des janissaires (l’état-major  de l’armée et des services spéciaux), s’expliquent parce que le pays est en réalité gouverné par Saïd Bouteflika, le jeune frère du président. Or, enseveli sous de très graves affaires de corruption, ce dernier sait, qu’au mieux, il ira dormir en prison au lendemain de la mort clinique de son aîné s’il n’a pas auparavant taillé un pouvoir à sa main.

Voilà pourquoi le général “Toufik” Mediene qui avait osé dénoncer les trafics de “Monsieur frère” fut remplacé à la tête de la DRS (le contre-espionnage) par le général Athman Bachir Tartag. Remplacement qui intervenait après plusieurs autres, dont ceux du général M’Henna Djebbar, chef de la direction de la sécurité de l’Armée, du général Rachid Laalali, chef de la DSE (Direction de la sécurité extérieure), du général Ahmed Bousteila, chef de la gendarmerie etc. Tous au profit du général Ahmed Gaïd Salah, chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense, né en 1940.

Hier, l’alliance avec l’Etat-major a donc permis à Saïd Bouteflika d’écarter le très puissant général « Toufik » Mediene. Or, aujourd’hui, cette alliance a éclaté et ce même Saïd Bouteflika s’est, dit-on, rapproché de « Toufik » tout en se brouillant avec le général Ahmed Gaïd Salah.

Les analyses  des années 2015 et même 2016 sont donc obsolètes. Il faut en effet bien voir que derrière l’immuabilité de façade du régime algérien, les clans se font et se défont dans une folle course contre la montre dans laquelle Saïd Bouteflika « tient  la corde » tout en étant talonné par de féroces concurrents prêts à tout pour l’emporter.

Trois grandes hypothèses se dégageaient ainsi il y a encore quelques mois :

1)      Saïd Bouteflika et l’Etat-major s’entendaient pour installer un homme de paille au pouvoir.

2)      L’Odjak se refaisait une “vertu” à bon compte en donnant la tête de Saïd Bouteflika au peuple avant de placer l’un des siens aux commandes. Lesquels parmi les généraux, voudront en effet apparaître liés aux profiteurs du régime quand la rue grondera?

3)      Prenant tout le monde de vitesse, “Monsieur frère” s’emparait directement du pouvoir.

Aujourd’hui, l’option 1 n’est plus d’actualité car la guerre à mort est désormais déclarée entre Saïd Bouteflika et l’état-major de l’armée contrôlé le général Ahmed Gaïd Salah. Ceci fait que, pour  espérer arriver au pouvoir ou à minima, empêcher l’option 2 de se réaliser, Saïd Bouteflika a besoin d’alliés extérieurs. Voilà pourquoi il recherche l’appui de la France.

D’autant plus que la question de la succession du président Bouteflika intervient à un moment critique pour une Algérie frappée au cœur par l’effondrement du prix du pétrole. Les dirigeants algériens savent bien que si la bombe sociale n’a pas encore explosé, c’est, en plus de l’incroyable résilience de la population, uniquement parce que la manne pétrolière permet à l’Etat de subventionner pour 60 milliards de dollars par an la consommation des “classes défavorisées”. A cette somme, il convient d’ajouter 20% du budget de l’Etat qui est consacré au clientélisme. Avec 6% de toutes les dotations ministérielles, le budget du ministère des Anciens combattants est  ainsi supérieur à ceux de l’Agriculture (5%) et de la Justice (2%).

Avec un pétrole à 50 dollars le baril, il va donc falloir tailler dans les subventions, ce qui va bousculer les équilibres sociaux et politiques. D’autant plus que l’Algérie consacre le quart de ses recettes tirées des hydrocarbures -ses seules recettes d’exportation-, à l’importation de produits alimentaires de base dont elle était exportatrice avant 1962.

De plus, depuis 2011, l’on sait que les réserves de gaz de l’Algérie ont été surestimées. Quant à la production de pétrole, elle baisse et le pays n’aurait encore, selon certaines sources, que pour deux à trois décennies de réserves. Cette baisse de production qui fut un temps masquée par le prix élevé du baril (plus de 110 dollars), ne l’est plus avec les prix actuels.

La situation est donc gravissime. D’autant plus que les parts de marché de la Sonatrach en Europe  vont baisser en raison de la concurrence de Gazprom qui fournit le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit par l’Algérie. Sans compter que depuis 2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain qui représentait  entre 30 et 35% des recettes de la Sonatrach a disparu…

Autre phénomène angoissant pour les autorités algériennes, le prix du gaz naturel liquéfié lié au prix du pétrole et des produits raffinés va de plus en plus être aligné sur le prix du gaz naturel américain, ce qui, selon les experts devrait mettre le GNL algérien entre 30 et 40% de ses prix antérieurs. L’Algérie est donc bien au bord du précipice.

Dans cette Algérie en état de pré-faillite, “dirigée” par un président moribond et gouvernée par l’ “alliance des baïonnettes et des coffres forts”, l’équilibre politique repose sur un modus vivendi entre plusieurs clans régionaux et politiques qui se partagent les fruits du pouvoir au sein des deux piliers de l’Etat qui sont l’ANP (Armée nationale populaire) et l’ancienne  DRS (Département du renseignement et de la sécurité).

Quant à l’ordre social national, il résulte d’un singulier consensus:

– A l’intérieur, les dirigeants  qui vivent de la corruption et des trafics en tous genres achètent le silence d’une population qui n’ignore rien de leurs agissements, par de multiples subventions.

– A l’extérieur, le régime entretient des mercenaires, journalistes et hommes politiques stipendiés, qui font fonctionner d’efficaces réseaux de communication.

L’Algérie est donc dans la nasse et la succession du président Bouteflika pourrait être le détonateur d’une crise d’une haute intensité. Or, le pays est un élément essentiel dans la stabilité régionale et les conséquences d’une guerre de succession pourraient être catastrophiques pour la France car des millions d’immigrés algériens  y vivent, et parce qu’une Algérie déstabilisée provoquerait une onde de choc dans tout le Maghreb.

Les responsables algériens cherchent donc à persuader la France qu’elle a tout intérêt à ce que la succession présidentielle se fasse « en douceur » afin que leur pays ne sombre pas dans l’anarchie. Voilà pourquoi les puissants réseaux qu’Alger entretient dans les coulisses du pouvoir français s’activent actuellement au profit de l’ « homme de la situation », Saïd Bouteflika, lui qui dirige déjà l’Algérie au nom de son frère. D’autant plus que rien de ce qui se passe au Mali où les troupes françaises sont engagées n’est étranger aux Services qu’il contrôle, certains chefs islamistes maliens ayant même leurs attaches en Algérie. A l’image de Iyad Ag Ghali qui aurait mis sa famille  à l’abri dans l’une des willaya du Grand Sud…

Comme les opposants au clan Bouteflika ont également leurs entrées à Paris, il va donc être intéressant de suivre, dans les semaines qui viennent, et au fur et à mesure de la dégradation de l’état de santé du président Bouteflika, les voyages que les-uns et les autres vont faire dans l’ancienne métropole…”

Bernard Lugan

12/07/2017

http://bernardlugan.blogspot.fr

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