Djihad au Burkina Fasso

Une attaque “terroriste” très meurtrière au Burkina Fasso, compte-rendu à lire sur le site R.F.I. en suivant ce lien et les réactions en suivant cet autre lien.

Notre ami, le professeur et expert de l’histoire de l’Afrique, Bernard Lugan expose ci-après sa vision de la situation actuelle à la lumière du passé de cette région et donne les pistes pour endiguer l’extension du djihad dans le Sahel.

 
Lundi 19 août 2019, une nouvelle et
importante attaque des GAT (Groupes armés terroristes) menée dans le nord du
Burkina Faso, a fait des dizaines de morts, de blessés et de disparus dans
les rangs de l’armée burkinabé.
Pourquoi, six ans après la
chevauchée de Serval, un conflit au départ localisé au seul nord-est du
Mali, limité à une fraction touareg et dont la solution passait par la
satisfaction de revendications politiques légitimes, s’est-il transformé en
un embrasement régional paraissant échapper à tout contrôle ?
 
La réponse tient en deux points :
 
1) En 2013, pour obtenir une
victoire totale, il eut fallu conditionner la progression de Serval et
la reconquête des villes du nord du Mali à des concessions politiques du
pouvoir de Bamako. Les décideurs français ne l’ont pas voulu.
 
2) Ceux qui ont défini la stratégie
française dans la BSS (Bande sahélo saharienne) ont choisi les nuées contre
le réel, à savoir l’illusion de la démocratie et le mirage du développement.
Or, en Afrique,
comme démocratie = ethno-mathématique, les ethnies les plus nombreuses
remportent automatiquement les élections. Conséquence, au
lieu d’éteindre les foyers primaires des incendies, les scrutins les
ravivent ou les maintiennent en activité.
Quant au développement, tout a déjà
été tenté en la matière depuis les indépendances. En vain. D’ailleurs,
comment les politiques, les médias et les « experts », peuvent-ils
encore oser parler de développement, alors qu’ils savent que la suicidaire
démographie africaine en vitrifie par avance toute éventualité ?
 
Dans l’état actuel de la situation
sécuritaire dans la BSS, le retour au réel est plus que jamais une urgence
afin d’identifier les causes profondes de la conflictualité à laquelle nos
Forces sont confrontées. Elles ont en effet un besoin vital de cette
lisibilité que seule la connaissance du passé permet d’obtenir.
L’histoire régionale nous apprend
ainsi que les actuels conflits ne sont pas une nouveauté. Résurgences de ceux
d’hier, ils s’inscrivent dans une longue chaîne d’évènements expliquant les
antagonismes ou les solidarités d’aujourd’hui.
 
Quelques exemples :
1) A l’ouest du lac Tchad, à partir
du Xe siècle et durant plus d’un demi-millénaire, se
succédèrentroyaumes et empires (Ghana, Mali et Songhay). Tous contrôlaient
les voies méridionales d’un commerce transsaharien articulé et même ancré sur
des villes-marchés mettant en contact le monde soudanien et le monde
méditerranéen. Quand ils étaient forts, ils se faisaient respecter par les
éleveurs nomades, leur interdisant de razzier les agriculteurs sédentaires.
 
2) Après la destruction de l’empire
Songhay par le Maroc en 1591, à l’exception des Bambara au nord et des Mossi
au sud, les peuples sédentaires de la région ne constituèrent plus de
véritables États. Tant chez les Songhay que chez les Djerma, la vie en
société ne fut plus dès-lors organisée qu’autour de villages ou de
regroupements de villages incapables de se défendre contre la razzia nomade.
 
3) A la fin du XVIIIe siècle
et durant le XIXe, les populations sédentaires de l’ouest du Sahel
subirent l’expansion des nomades Peul, mouvement dévastateur qui se fit avec
l’alibi de la religion. Trois jihadpeul ou apparentés
bouleversèrent alors la marqueterie ethno-politique régionale. Celui
d’Ousmane (Othman) dan Fodio se fit en pays Haoussa, celui de Seku Ahmadou au
Macina et celui d’El-Hadj Omar en pays bambara. Du haut Sénégal à la région
tchado-nigeriane, ce ne fut alors que désolation, pillage, massacre et mise
en esclavage.
 
4) Aujourd’hui, dans tout l’ouest
africain, ces terribles épisodes sont encore très présents dans les esprits.
Leur souvenir constitue le non-dit, et souvent même le véritable soubassement
des actuels affrontements ethniques baptisés « communautaires » par
idéologie, « pruderie » ou « prudence »… Or, en ne
nommant pas les choses, l’on en perd le sens.
En effet, pour les Peul et pour
ceux qui se réclament de la « peulitude », Ousmane (Othman) dan
Fodio, Seku Ahmadou et El Hadj Omar sont des héros. Les Bambara, Dogon,
Mossi, Djerma, Songhay et autres, les voient tout au contraire comme des
conquérants esclavagistes cruels et sanguinaires dont l’impérialisme pillard
était camouflé derrière un pseudo-justificatif religieux.
Voilà défini l’arrière-plan des
actuels conflits du Macina et du Liptako amplifiés par la surpopulation et la
péjoration climatique. Refuser de le voir ou considérer cela comme
« anecdotique » va, tôt ou tard, conduire à de nouvelles
« désillusions » et, hélas, à de nouvelles pertes cruelles.
 
5) Avant la colonisation, accrochés
à la terre qu’ils cultivaient, les sédentaires du fleuve et de ses régions
exondées étaient pris dans la tenaille prédatrice des Touareg au nord et des
Peul au sud. Pour survivre, ils constituèrent alors de complexes réseaux
d’alliances ou de solidarités. Ayant traversé le temps, ils permettent
d’expliquer pourquoi certaines « communautés » se rangent
aujourd’hui du côté des GAT, quand d’autres les combattent.
Ainsi, comme les raids des Touareg
s’exerçaient depuis le désert au nord du fleuve Niger et ceux des Peul à
partir des trois émirats du Dallol, du Liptako et du Gwando, afin d’être
épargnés, les sédentaires devinrent les tributaires des premiers ou des
seconds :

– À l’ouest, les Songhay choisirent d’être ceux des Touareg, lesquels, en
échange, protégeaient leurs villages des attaques des Peul. Entre Gao et
Ménaka, au fil du temps, certains des tributaires songhay s’assimilèrent quasiment
à leurs protecteurs Touareg. Les Imghad le firent ainsi aux Touareg Ifora et
les Daoussak aux Touareg Ouelleminden Kel Ataram. Comme la rive nord leur
était tributaire, c’était donc sur la rive sud du Niger que les Touareg
menaient leurs razzia, avec pour alliés les piroguiers-pêcheurs Kourtey
(Kourteis) vivant entre Ayorou et Say.

– Plus à l’est, toujours sur la rive nord du fleuve Niger, les Djerma étaient
dans la même situation que leurs voisins songhay mais, en fonction de la
localisation géographique des prédateurs nomades, ils choisirent deux
systèmes différents de protection. C’est ainsi que les Djerma du sud
devinrent tributaires des Peul pour être protégés des Touareg, alors que ceux
du nord demandèrent à ces derniers de les défendre contre les Peul.
 
6) A la fin du XIXe siècle, l’armée
française bloqua l’expansion des entités prédatrices nomades dont
l’écroulement se fit dans l’allégresse des sédentaires qu’elles exploitaient,
dont elles massacraient les hommes et vendaient les femmes et les enfants aux
esclavagistes du monde arabo-musulman.
 
7) La colonisation fut donc en
quelque sorte la revanche offerte par la France aux vaincus de la longue
histoire africaine. Cependant, dans tout le Sahel occidental, elle eut deux
conséquences contradictoires :

– Elle libéra les sédentaires de la prédation nomade, mais, en même temps,
elle rassembla razzieurs et razziés dans les limites administratives de l’AOF
(Afrique occidentale française).

– Or, avec les indépendances, les délimitations administratives internes à ce
vaste ensemble devinrent des frontières d’États à l’intérieur desquelles,
comme ils étaient les plus nombreux, les sédentaires l’emportèrent
politiquement sur les nomades, selon les lois immuables de
l’ethno-mathématique électorale.
 
Voilà identifié le terreau des
conflits allumés depuis une ou deux décennies par des trafiquants de toutes
sortes et des islamo-jihadistes immiscés avec opportunisme dans le jeu
ethno-politique local et régional. L’ignorer ou le minorer conduit à la superficialité
des analyses, à l’inadaptation des décisions et en définitive, à l’impasse
actuelle.
Avec des moyens dérisoires à
l’échelle du théâtre d’opérations, Barkhane, qui n’est que de
passage, n’est évidemment pas en mesure de refermer des plaies ethno-raciales
ouvertes depuis la nuit des temps. Une bonne connaissance du milieu et des
hommes pourrait cependant lui permettre d’éviter leur surinfection.
 
Ces points sont développés et
illustrés de nombreuses cartes dans mon livre Les
Guerres du Sahel des origines à nos jours
 et dans
mon cours vidéo intitulé
“Comprendre le conflit au Sahel”

Bernard Lugan

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