Notre Président raisonne t-il à temps ou à contre temps ?

Lire cette belle chronique du professeur Bernard Lugan

Prenant pour prétexte le coup d’Etat du colonel Assimi Goïta au Mali, Emmanuel Macron a décidé de « transformer », en réalité il convient de lire « démonter » Barkhane[1].

Et pourtant, le coup de force de l’ancien commandant des Forces spéciales maliennes était au contraire une chance pour la paix. Ayant par ses fonctions une juste appréciation des réalités du terrain, ce Minianka, branche minoritaire du grand ensemble sénoufo, n’a de contentieux historique, ni avec les Touareg, ni avec les Peul, les deux peuples à l’origine du conflit[2]. Il pouvait donc ouvrir une discussion de paix en corrigeant quatre grandes erreurs commises par les décideurs parisiens depuis 2020, erreurs qui ont interdit à Barkhane de donner toute sa mesure.

1) En 2020, la lutte à mort opposant l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) à AQMI ( Al-Quaïda pour le Maghreb islamique), s’exacerba.

 

L’EIGS qui est rattaché à Daech a pour objectif la création dans toute la BSS (Bande sahélo-saharienne), d’un vaste califat trans-ethnique remplaçant et englobant les actuels Etats. De son côté, AQMI est l’émanation locale de larges fractions des deux grands peuples  à l’origine du conflit, à savoir les Touareg et les Peul, dont les chefs locaux, le Touareg Iyad Ag Ghali et le Peul Ahmadou Koufa, ne prônent pas la destruction des actuels Etats sahéliens.

Or, contrairement à ce que proposaient les responsables militaires français, les décideurs parisiens n’ont pas su profiter de cette opportunité politico-militaire.

2) Le 3 juin 2020, la mort de l’Algérien Abdelmalek Droukdal, le chef d’Al-Quaïda pour toute l’Afrique du Nord et pour la bande sahélienne, abattu par l’armée française sur renseignement algérien, donna leur autonomie au Touareg Iyad ag Ghali et au Peul Ahmadou Koufa, les libérant de toute sujétion extérieure. Comme les « émirs algériens » qui avaient longtemps  dirigé Al-Qaïda dans la BSS avaient été tués les-uns après les autres par Barkhane, l’élimination d’Abdelmalek Droukdal marquait donc la fin d’une période, Al-Qaïda dans la BSS n’étant désormais plus dirigé par des étrangers, par des « Arabes », mais par des « régionaux ». 

Or Paris ne voulut pas voir que ces derniers avaient une approche politique régionale, que leurs revendications étaient d’abord des résurgences enracinées dans leurs peuples, et que le « traitement » des deux fractions jihadistes méritait donc des approches différentes.

3) Dans ce contexte nouveau, un premier coup d’Etat militaire s’est produit au Mali au mois d’août 2020. Il a permis d’ouvrir des négociations entre Bamako et Iyad Ag Ghali, ce qui a ulcéré Paris mais amplifié encore davantage la guerre entre les deux mouvances jihadistes.

Pour la France, l’opération était donc entièrement profitable car cela lui aurait permis de fermer le front du nord afin de concentrer ses moyens sur d’autres régions. Voilà pourquoi, le 24 octobre 2020, j’avais publié un communiqué intitulé « Mali : le changement de paradigme s’impose ». 

Or, une fois de plus, Paris n’a pas pris la mesure de ce changement de contexte, continuant à parler indistinctement de lutte globale contre le terrorisme. 

4) Alors que la liquidation de Droukdel avait permis de faire monter au premier plan des leaders, certes islamistes, mais de tendance ethno-islamiste, enfermés dans leurs postulats, et ne voyant décidemment pas qu’il y  avait une opportunité à la  fois politique et militaire à saisir, les décideurs parisiens ont catégoriquement refusé tout dialogue avec  Iyad ag Ghali. Bien au contraire, le président Macron déclara qu’il avait donné comme objectif à Barkhane de le liquider et le 10 novembre 2020, Bag Ag Moussa, son lieutenant fut tué alors que, depuis plusieurs mois, les responsables français sur le terrain avaient évité de s’en prendre trop directement à la mouvance d’Iyad ag Ghali.

Contre ce que préconisaient les chefs militaires  de Barkhane, Paris s’obstina donc dans une stratégie « à l’américaine », « tapant » indistinctement  les GAT (Groupes armées terroristes), et refusant toute approche « fine »… « à la  Française »…

Ces grandes erreurs  reposant sur un refus obstiné de prise en compte par Paris des réalités du terrain pourtant bien perçues par la force Barkhane, ont donc conduit à une impasse dans laquelle la France s’est méthodiquement engagée. Le président Macron espère l’en sortir en annonçant un début de départ…et une relève « internationale » et « africaine ».

Espérons que ce désengagement ne débouchera pas sur des massacres de grande ampleur qui seront ensuite reprochés à la France. N’oublions pas que si le génocide du Rwanda a eu lieu à partir du 6 avril 1994, c’est parce que, à la demande du général Kagamé, Paris avait retiré l’armée française à l’automne 1993 pour qu’elle soit remplacée par un volapük militaire onusien qui, terré dans ses casernes, demeura passif  face aux massacres… Mais il est vrai que le grotesque rapport « Duclert » si cher au président Macron et au général Kagamé ne mentionne pas ce « détail »…

Bernard Lugan

[1] Le bilan de l’Opération Barkhane sera fait dans le numéro du mois de juillet de l’Afrique Réelle.

[2] Voir à ce sujet mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours.

Plus d’informations sur le blog de Bernard Lugan.

 

Et pourtant, des nouvelles de Barkhane en suivant ce lien.

 

 

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