Actualités, In memoriam

Funérailles de Jean Raspail, consul général de Patagonie

Ils étaient tous là, connus et inconnus, patagons de fait ou d’esprit, physiquement ou en Union de prière, pour cette très belle messe de rite traditionnel, en latin et dos au peuple, en cette grande église Saint Roch, pour accompagner le corps de Jean Raspail, consul général de Patagonie.

Ci-après le témoignage de Gabrielle Cluzel de “Boulevard Voltaire” :

Le dernier explorateur

Les grands hommes ont toujours une forte propension à tirer leur révérence à des moments décisifs. Mais, vous me direz, quel moment ne l’est pas dans cette année 2020 où tout semble se bousculer, s’harnacher de symbole, « faire sens », comme disent nos plus abrutis anglolâtres ? La mort de Jean Raspail intervient donc pendant une énième crise mondiale de l’indigénisme, qui prend aujourd’hui tous les atours du révisionnisme systémique, de cette tentation orwellienne qu’ont les minorités glapissantes, et leurs maîtres, à couper l’Histoire de ses racines, pour ne laisser à voir que cette trame de l’immanence, de l’immédiateté et de l’engouement émotionnel le plus veule. L’amnésie comme séquence ultime de la mondialisation.

Jean Raspail n’était probablement pas du genre à ajouter sa voix au brouhaha des « twittos », quel que soit leur bord. Il faisait partie de cette génération qui préférait le temps de l’analyse à celui du hochet, le temps de l’exploration à celui du recouvrement. Raspail reste une figure tutélaire de l’écrivain français inscrit dans son époque tout autant que dans l’historicité plus ample de son siècle. Un hussard, évidemment, mais aussi et surtout un contempteur de la médiocratie, un véritable romancier qui en tant que tel est parvenu à mêler eschatologie et ambition fictionnelle. Les années 70 avaient leur Camp des Saints, nous avons nos Guerilla, et autres obertoneries rédigées avec des gants de jardinage. Entre temps, nous avons perdu quelque chose, mais quoi ? Outre le talent, c’est sans doute l’empathie qu’il faudrait remettre au goût du jour, et l’œuvre de Raspail n’en manque pas, quoi qu’en disent les kapos de Libération et du Monde. Un romancier devrait pouvoir se glisser dans n’importe quel esprit pour y insuffler son Verbe et l’animer : aujourd‘hui, qui sont les écrivains capables comme comme lui de dresser un portrait prophétique de la civilisation sans sombrer dans les manies narcissiques d’un Houellebecq ou dans l’alarmisme adolescent qui réifie sans jamais montrer ?

Raspail croyait encore en l’homme, en sa capacité de révolte, c’est ce qui le différencie sans doute de nos tâcherons modernes, dont les volumes sont envahis par les mauvaises herbes du cynisme et de la complaisance. Chez Raspail, l’ambition romanesque est aussi celle de l’écrivain voyageur. Jean Raspail n’était pas de ces écrivains-touristes modernes qui flânent au Proche-Orient la truffe au vent, de palace en palace, chemise ouverte, à la recherche des ornementations autochtones qui pourront faire briller un moment leurs égotiques boursouflures. Jean Raspail était plus proche d’un London, d’un Mabire, d’un Malcolm Lowry, ou plus récemment d’un Sylvain Tesson : à l’inanité du tourisme de masse, à l’infatuation des déambulations oiseuses, aux escapades bourgeoises et perverses d’un Gide ou d’un Mandiargues, il préférait la vérité du voyage initiatique, celui qui fouette la moelle et recompose le regard. De tels voyages sont-ils encore possibles à une époque où la cartographie du globe est éreintée par les machines panoptiques de Google, où les blancs sur la carte ont laissé leurs places à des essaims de chiffres et de réclames ? Raspail, ultime écrivain voyageur, appartenait au monde d’avant, celui dont il fallait franchir les cols, braver les rapides ; et il aimait les peuples et les races pour ce qu’elles étaient : d’incroyables singularités locales générées par une terre, un climat, une foi. Bien loin des revendications haineuses et de la biopolitique aveugle dont se gargarisent aujourd’hui les ayatollahs de la Terre Unifiée.

 

 

Puisse Jean Raspail avoir rejoint cette Patagonie idéale que l’on nomme paradis

Les obsèques ont eu lieu mercredi matin, en l’église Saint-Roch, à Paris

Imprimer ou envoyer par courriel cet article

Ils sont venus, ils sont tous là. Ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas – si tant est que l’on puisse apprécier cet écrivain sans un peu de transcendance -, les respectables et les infréquentables, les princes et les manants, les célèbres et les anonymes, les ecclésiastiques et les laïcs, les vieillards et les adolescents, ceux qui ont lu tous ses livres même les plus atypiques et ceux qui n’en ont lu qu’un mais qui les a subjugués.

Philippe de Villiers, Marion Maréchal, Jean-Pax Méfret, le comte de Paris, le représentant du duc d’Anjou, le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme, Charles Beigbeder, Ivan Rioufol, Renaud Camus, Jean-Yves Le Gallou, Jean Sévillia, Étienne de Montety (auteur d’un très bel éloge funèbre), Sylvain Tesson, Laurent Dandrieu, Charlotte d’Ornellas, Martial Bild, François Tulli (fidèle d’entre les fidèles), l’amiral Guillaud, ancien chef d’état-major des armées… ils sont d’horizons si divers qu’ils semblent n’avoir rien de commun, mais si le panache, l’élégance, l’honneur, les espaces lointains et les combats pour les causes perdues – encore plus beaux d’être inutiles, comme dirait Cyrano de Bergerac – qui peuplent l’univers littéraire de Jean Raspail les font vibrer, il faut croire qu’ils partagent l’essentiel. Un lambeau de gloire passée conservé pieusement dont ils s’efforcent de couvrir, chacun dans son registre, notre pauvre pays déboussolé comme un manteau de Noé ? Et quand la France, par trop folle, les repousse et les déprime, ils filent par le cœur, la pensée et l’imagination de Jean Raspail en Patagonie.

Ils sont venus, ils sont tous là, les grands romans de Jean Raspail. L’enterrement, en rite extraordinaire, comme il l’avait lui-même prévu, semble tiré de l’un de ses livres : des hymnes en latin ou en langue vernaculaire – notamment Chez nous soyez Reine, qu’il affectionnait particulièrement et qu’il avait fredonné devant moi gaiement a cappella, lors d’un entretien – de l’encens, du sacré, des uniformes, des chasubles rebrodées, du faste dans la forme et de l’humilité dans le fond, des vitraux, des orgues, des bannières, un drapeau patagon sur le catafalque, une voûte de pierre à berceau sur laquelle volettent des anges dorés, un saint tutélaire thaumaturge, saint Roch, invoqué (cela tombe bien) lors des épidémies, une foule d’hommes faits, de vieillards, d’adolescents, parfois même d’enfants, un peu bigarrée – certains sont sortis du travail « comme ils étaient », d’autres se sont endimanchés – se presse pour saisir le goupillon, un peu maladroitement parfois, tant ce geste ancestral est oublié. Et puis au loin, dans les têtes sinon les oreilles, le fracas lointain des émeutes urbaines et des statues que l’on abat. Sire et L’Anneau du pêcheur voisinent avec Le Camp des saints, La Miséricorde, qui est aussi un lointain voyage, certes spirituel, avec Antoine de Tounens.

Ils ne sont pas venus, ils ne sont pas là. Les caciques de la culture et les mandarins des grands médias. Seul Le Figaro, en la personne du journaliste Vincent Roux, a retransmis en direct les obsèques sur sa chaîne YouTube.

La plupart se sont contentés de mentionner, le week-end dernier, le décès de l’auteur du « controversé » Camp des saints. Un livre qui a fait naître le grand écrivain en même temps qu’il l’a enterré : les Cassandre, même dotées de moustaches et d’une plume redoutable, ne sont pas plus aimées qu’écoutées. La guerre de Troie aura peut-être lieu et, en dépit du succès mondial et des rééditions innombrables, le ministre de la Culture Franck Riester n’a pas lâché un mot pour lui rendre hommage. Pas un intellectuel de gauche, même avec la « distanciation sociale » d’usage, n’a daigné saluer son talent. Pas une figure connue de la bien-pensance ne s’est déplacée, ne serait-ce que pour montrer qu’il existe encore une élite intellectuelle libre en France. Ils se prennent pour le camp des petits saints et sont, en effet, minuscules.

Il y a très, très longtemps, en un temps où la télévision d’État osait encore inviter Jean Raspail, Bernard Pivot lui avait demandé de quelle façon il souhaitait être accueilli par Dieu, dans l’au-delà : « Je voudrais qu’il m’appelle par mon prénom, Jean. » L’apôtre préféré du Christ, qui reposait sa tête sur sa poitrine. C’est tout ce qu’on lui souhaite dans cette Patagonie idéale que l’on nomme le paradis.

Gabrielle Cluzel

Pour voir les principaux moments de la cérémonie, sur le “Figaro Live” en suivant ce lien.