Comprendre les enjeux du franc C.F.A. avec Bernard Lugan

Survivance du passé, néocolonialisme, Trésor disponible pour les finances de l’Etat, notre ami le professeur Bernard Lugan nous explique tout au sujet de cette monnaie mystérieuse et exotique.

“Le 27e sommet Afrique-France doit se tenir à Bamako les 13 et 14 janvier 2017 dans un climat de grande incertitude en raison des prochaines échéances électorales françaises. Si l’actuelle opposition de droite parvenait au pouvoir au mois de mai 2017, une nouvelle politique de coopération serait en effet définie et la question du franc CFA n’échapperait alors pas à un profond réexamen.

Quatre grandes questions se posent en effet à son sujet :

1)      1) Cette monnaie est-elle un obstacle au développement des 14 pays africains (plus les Comores), membres de la zone franc pour lesquels elle constitue la monnaie commune ?

2)      2) Est-elle au contraire un atout pour ces pays, la France jouant à leur profit le rôle d’une assurance monétaire ?

3)      3) Créé en 1945, le CFA est-il une survivance de la période coloniale, un moyen pour la France de continuer à exercer une influence sur ses anciennes colonies ?

4)      4) L’intérêt politique de la France n’est-il pas de supprimer le CFA afin d’en finir une fois pour toutes avec les lassantes accusations de néocolonialisme[1] ?

 

Le franc CFA (Franc des colonies françaises d’Afrique) a été créé le 26 décembre 1945. En 1958, il est devenu Franc de la communauté française d’Afrique. Aujourd’hui, il a deux noms car, dans la réalité, deux CFA existent :

–       Pour les pays de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo, dont la banque d’émission est la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest), il est le Franc de la Communauté Financière d’Afrique.

–       Pour les pays de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale), Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad, dont la banque d’émission est la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale), il est le Franc de la Coopération Financière en Afrique centrale.

 

Les détracteurs de la zone franc et du CFA formulent les critiques suivantes :

– La parité fixe entre le CFA et l’euro pénalise les pays membres car ces derniers commercent plus avec la Chine qu’avec l’Europe.

– Adossé à l’euro, le CFA est une monnaie forte surévaluée qui nuit aux économies concernées.

– Il s’agit d’un mécanisme économique désuet dont la politique monétaire immuable entraîne une lourdeur bureaucratique.

– Il ne favorise pas la croissance puisque les pays de la zone franc sont au bas du classement des Nations Unies sur le développement, alors que les pays africains ayant leur souveraineté monétaire sont mieux classés.

– Les comptes d’opérations étant ouverts auprès du Trésor français, ce dernier bloque des sommes d’environ 14 mds d’euros qui pourraient utilisées pour financer le développement. De plus, comme la France profite des intérêts de cette somme, elle s’enrichit donc aux dépens des Africains.

– Le système permet toutes les ingérences françaises comme l’a montré la manière dont le président Sarkozy l’a utilisé pour acculer Laurent Gbagbo.

– En définitive, il s’agit d’un prolongement de la colonisation et d’une forme patente de néo-colonialisme.

 

Pour les défenseurs de la zone franc et du franc CFA :

– Le CFA garantit la stabilité des monnaies des pays membres comme l’ont redit le samedi 9 avril 2016 les ministres des Finances de la zone franc en citant l’exemple du Ghana dont la monnaie souveraine s’est effondrée.

– Il est faux de dire que les pays membres de la zone franc sont au bas du tableau du développement. En 2014, l’UEMOA a ainsi connu une progression de 7% de son PIB, un pourcentage très largement supérieur à celui du reste de l’Afrique, en raison d’une politique de grands travaux d’investissement publics en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Le mouvement ne bénéficie cependant pas à toute la zone UEMOA car les pays sahéliens la composant traversent une crise profonde.

– Le système CFA oblige les Etats à gérer leur monnaie et à freiner la corruption.

– Les émissions dépendant de la Banque de France, il y a impossibilité pour les pays membres de faire marcher la « planche à billets ».

– La zone franc obtient de meilleurs résultats en matière de stabilité des prix que le reste de l’Afrique sud-saharienne. L’inflation est ainsi de 1% dans l’UEMOA, de 2,5% dans la CEMAC et de 1,3% aux Comores, contre 7% en moyenne pour l’Afrique sud-saharienne (Banque de France 30 septembre 2016/ Rapport annuel zone Franc 2015).

– Autre avantage pour les pays membres, en cas de problème, la France garantit les transactions.

– Les monnaies nationales de pays à faible revenu ne vaudront rien si elles ne sont pas adossées à une monnaie forte et, dans tous les cas, les transactions se feront en dollars ou en euros.

– Ce n’est pas le CFA qui a détruit les industries naissantes, mais la réduction des barrières douanières imposée par la Banque mondiale.

– Quant aux comptes d’opérations ouverts auprès du Trésor français et qui nourrissent bien des fantasmes, ce ne sont pas des « vaches à lait » dont profiterait la France car les 14 mds d’euros bloqués comme « assurance » et comme garantie par le Trésor français représentent moins de 1% des réserves françaises de change.

 

Le positif l’emportant sur le négatif, les pays africains concernés auraient donc avantage au maintien du CFA. Tel n’est pas le cas de la France. Les chiffres publiés par la Direction générale du Trésor (avril 2016, en ligne) tordent en effet le cou à bien des légendes en mettant en évidence deux points importants:

1)      En 2015, alors que la totalité de ses exportations mondiales était de 455,1 milliards d’euros, la France a vendu à la seule Afrique sud saharienne pour 12,2 milliards d’euros de biens et marchandises, soit 2,68 % de toutes ses exportations. Sur ces 12,2 milliards d’euros, la zone CFA en a totalisé 46%, soit environ 6 milliards d’euros, soit à peine 1,32% de toutes les exportations françaises. Pour ce qui est des importations, les chiffres sont voisins.

2)      La zone CFA n’est pas cette « chasse commerciale gardée » permettant aux productions françaises de bénéficier d’une sorte de marché réservé comme certains l’affirment. En 2015, la part de la France dans le marché de cette zone ne fut en effet que de 11,4%, loin derrière la Chine.

 

Conclusion

1)      Le poids de la zone CFA étant anecdotique, l’économie française ne serait donc guère affectée par sa suppression.

2)      Politiquement, en quoi la France aurait-elle intérêt au maintien de cette ultime survivance coloniale ?

Bernard Lugan

06/12/2016

 

[1] Pour tout ce qui concerne les critiques concernant les politiques d’aide et de coopération, voir mon livre « Osons dire la vérité à l’Afrique ». Le Rocher, 2015.

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